Se tenir par la main

« Je peux pas cette aprem, j’ai promis à ma Petite Amélie que j’irai à la foire »

image

Ma soeur. J’ai une grande soeur, de trois ans et demi on aîné. Même aujourd’hui que nous sommes adultes, je suis parfois surprise qu’elle soit née en premièr, la première de nous quatre. Elle a entreprit de se réconcilié avec l’enfant qu’elle à été il y a déjà un bon moment. Quelques photos de son enfance sur les murs. C’est déjà quelque chose de difficile je trouve; pour moi en tout cas. Quand je me vois si souriante sur mes photos d’enfant, alors que le souvenir que m’évoque ce moment est pénible, je me demande quelles stratégies se mettent en place pour survivre.
Ma grande soeur est quelqu’un de très positif, de très profond. Parfois il y a des phrases qu’elle dit, des petites choses, mais qui me résonnent en moi comme un grand fracas, une chute de pierres sur une petite route de montagne.
« on était pas frappées au ceinturon, mais on était frappées. Et pire, on vivait sous son règne, toujours en danger de mourrir, le règne de la terreur ».
Elle dit ça ma soeur, par pour en faire acte, pas pour se souvenir, juste en illustration d’une histoire d’aujourd’hui, d’un comportement ou de quelque chose qui à peu à voir avec tout ça.
Elle continue de parler. Elle continue, mais d’avoir dit ça, d’avoir glissé quelque parte et de temps en temps que nous avons vécu dans la terreur, c’est important. Sûrement elle ne le sait pas, pourtant ça me recentre énormément. Je n’en parle jamais moi, ou pas assez. Jamais à froid, sans douleurs préalables, je dis que j’ai été maltraitée. Je devrais pourtant m’en souvenir plus souvent, je me pardonnerai peut être d’avoir tant de difficultés à trouver mon chemin vers le calme de mon coeur.

J’admire vraiment le fait d’oser penser à la petite fille qu’on a était, se regarder et se pardonner. Pardonner? un enfant a-t-il besoin d’être pardonné de quoi que ce soit?
Quand ma grande soeur évoque ça, -son petit Elle-même qu’elle prend par la main- je frissone à l’idée de regarder la petite blondinette apeurée que j’étais.
Qu’est-ce qu’elle me dirait ma petite Jessica aujourd’hui? Est-ce que moi je la pardonne d’avoir rien dit, d’avoir laissé faire, est-ce que je la pardonne de sourire sur les photos?
Quand je me souviens les milles fois où j’aurai dû pleurer, où j’aurai dû parler, je m’en veux. C’aurai peut être tout changé. J’étais sûre que si j’arrêtai de sourire, la Terreur me tuerai. J’en étais réellement convaincue. Ma soeur aussi. Nous le savions, la Terreur nous à toujours répété à quel point elle a droit de vie ou de mort sur nous, à tout moment, dans l’indifférence générale, en pleins pouvoirs de sa maternité.
La Terreur nous détestait, chaque cellule de son être nous détestait, sûrement encore aujourd’hui d’ailleurs. Elle entretenait avec nous une relation de dominance suprême, où je ne vaut rien, ni pour mon père, ni pour ma soeur, ni pour personne, encore moins pour elle, qui à l’immense amabilité de me tenir en vie sous son toit. Mais jusqu’à quand? Nous avons grandi dans cette croyance très forte, que nous pouvons disparaître à tout moment.

La Terreur. La mère. Elle nous à tué tous les jours, jusqu’au dernier jour où je l’ai vue, il y a bientôt 5 ans. Jusqu’à ce jour là, elle m’a tué, ou plutôt m’a interdit formellement de croire que j’existais, que j’étais digne de vivre. Avec une autorité intense, une autorité haineuse mais bien menée.
Cet autoritarisme malsain et secret, elle détruira tout sur son passage. Toute personne ayant croisé son chemin, les hommes ou es femmes, sont marqués définitivement par ces yeux bleus, cet air enjôleur, ce mythe de la femme forte et douce.
Sachez que le diable à l’air d’un ange.

Une des choses que je n’arrive pas à pardonner aux petites filles que nous étions; on ne se tenait jamais par la main.
Lors des ruées de la Terreur, aux moments fous comme lors du quotidien, pendant la lente destruction, elle ne me défendait pas, ma soeur. Et je ne la défendait pas.
J’ai des souvenirs très nets de la violence que je ressens lorsque ma soeur est attaquée, quand les mots la saignent sur place. Elle ne bouge pas, ne dit rien. J’ai envie de tout casser, d’hurler de mon petit ventre que ça s’arrête, laisse ma soeur, laisse la!
Mais rien. Je ne bouge pas. Figée. J’attends mon tour. On sait, on sait chacune que le moindre écart qui ressemblerai à une union entre nous serait très sévèrement puni.
La moindre tentative d’un pas vers l’autre, serai perçu comme mutinerie voire haute trahison du pacte de silence.

Ça, je ne le pardonnerai jamais à ma petite blondinette interne. J’aurai dû hurler. Je sais que ça n’aurait pas changé grand chose, que le déferlement de désamour aurait été identique. J’aurai dû défendre ma soeur.
De ça nous n’en avons jamais parlé. Amélie à trois ans de souvenirs de plus que moi; j’en suis vraiment désolée. Mon cerveau à moi en a un peu moins, et surtout je crois que j’ai volontairement effacé ou censuré certains épisodes; ça me convient mieux comme ça.

C’était la guerre. Ce n’est pas une raison.
Comment me réconcilier avec ma petite Jessica, de n’avoir jamais tenu la main de sa petite Amélie.